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imageInteractions Santé - Décembre 2021



Penser ensemble la santé des écosystèmes et la santé humaine, une exigence pour promouvoir la santé

L’accélération des crises successives (pandémie Covid-19, inondations, incendies…) donne lieu à une réelle prise de conscience de la nécessité d’adopter une approche moins cloisonnée et plus globale du monde vivant.

Dans la lignée de One Health (une seule santé), de nombreux concepts ont émergé sur l’interdépendance de la santé des écosystèmes et de la santé humaine. Mais si les constats et les envies de changement sont partagés, les visions sociétales sont assez différentes. 

Dans ce foisonnement, promouvoir la santé nécessite d'adopter un angle d’approche moins centré sur la santé humaine et de mettre en action cette vision globale.

One health (Une seule santé), une vision globale de la santé réactualisée

Les liens entre la santé humaine et l’état de notre environnement, de notre écosystème, sont établis de longue date. Mais la pandémie de Covid-19 a été l’occasion d’une prise de conscience accrue de cette réalité, tant par le grand public que les politiques, en faisant également le lien avec la santé animale.

En effet, les hypothèses sur l’origine du coronavirus ont popularisé ce qu’on appelle les « zoonoses », ces maladies ou infections qui se transmettent directement ou indirectement des animaux vertébrés aux humains et vice versa [1]. Les zoonoses sont à l’origine de 60% des maladies infectieuses des êtres humains [2] : maladie de Lyme, virus Ebola, toxoplasmose… Leurs causes sont multiples mais étroitement liées aux activités humaines (déforestation, agriculture intensive, urbanisation, industrialisation… [3] et imposent donc d’interroger notre modèle de développement.

L’accélération des crises successives (pandémie, dôme de chaleur au Canada, inondations en Belgique, incendies en Australie…) met en avant la nécessité d’une approche pluridisciplinaire et systémique, incarnée aujourd’hui par le concept de One Health (une seule santé). Cette vision, issue des professionnels de la santé animale, n’est pas nouvelle. Dès les années 70, les interconnexions du monde vivant sont documentées, notamment par la biologiste Rachel Carson. Le concept a réellement émergé au début des 2000. En 2004, les 12 principes de Manhattan, présentés lors d’une conférence organisée par la Société pour la conservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society), insistent sur la reconnaissance des liens entre santé humaine, santé animale et environnement.

Aujourd’hui, la nouveauté réside avant tout dans une certaine unanimité au niveau international autour du concept de One health, qui devient le nouveau cadre de référence [4] et pas seulement pour les acteurs de la santé animale à l’origine de ce concept.

One-health (une seule santé), planetary-health (santé planétaire), eco-health… : des termes multiples pour un enjeu partagé mais des visions différentes

Le concept One health est ainsi aujourd’hui repris très largement dans les sphères académique, médiatique et politique françaises [5]. Mais en réalité d’autres termes co-existent pour porter cette approche systémique, reflétant des sensibilités,  des disciplines différentes et des démarches non coordonnées entre elles. Ces concepts se déploient au niveau international sans nécessairement d’incarnation forte en France. Pour l’approche One health (Une seule santé) qui est portée par les acteurs de la santé animale, en particulier l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), la focale est mise plutôt sur la prévention des épidémies et des zoonoses. Ce concept a donné lieu en 2008 à la rédaction d’un cadre de référence par 6 organisations internationales ( OMS, OIE, UNICEF, FAO…) [6]. Le concept de planetary-health (santé planétaire) a été initié en 2014 par le domaine de la recherche aux USA via Planetary Health Alliance soutenue par la fondation Rockefeller. Ce concept propose une vision très intégrée de la santé en prenant en compte les limites environnementales mais il n’a pas de réelle existence en France. D’autres termes comme Eco health ou Health ecology, Global health sont utilisés et portés par des organisations internationales comme l’OMS ou par des ONG mais leurs démarches consistent principalement à étudier l’environnement comme facteur de risque pour la santé humaine. [7]…  

Ces notions révèlent ainsi une vision plus ou moins anthropocentrée et plus ou moins intégrative dans leur mise en œuvre pratique ou politique (cf. figure ci-contre [8].

Le foisonnement des concepts témoigne d’une réelle envie de changement mais « malgré l'attention accrue portée récemment aux aspects écologiques et sociétaux de la santé, y compris les questions plus larges de durabilité, l'accent reste anthropocentrique et orienté vers la biomédecine » [9].

Si les constats sont partagés à la fois sur les problèmes (déclin de la biodiversité, épuisement des ressources, multiplication des zoonoses…) et sur la nécessité d’une approche systémique, leurs perceptions et les modalités pour y répondre sont très différentes. Des divergences de fond se révèlent sur la notion d’intérêt général,  de bien-commun, la place des systèmes naturels (approche comptable ou approche holistique) [10] qui interroge les « aménagements de l’idéologie néo-libérale » [11]. Cela questionne en particulier la nécessité d’« inflexions politiques fondamentales concernant le développement et l’alimentation, déterminants de la « santé » des écosystèmes, et donc des risques sanitaires de demain » [12].

La place de la promotion de la santé dans ces enjeux

L’émergence de ces différents concepts a encore du mal à s’incarner concrètement dans les pratiques et les politiques, y compris dans le champ de la promotion de la santé, malgré l’approche socio écologique de la santé proposée dans la charte d’Ottawa.
Plusieurs causes peuvent expliquer cet  « engourdissement » [13] :

  • une vision anthropocentrique qui prend en compte les déterminants sociaux de la santé mais néglige les déterminants écologiques de la santé,
  • une théorisation inadéquate du rôle de l’environnement qui est présenté comme déterminant de la santé humaine et non comme enjeu en lui-même (préservation de l’environnement indépendamment de la question humaine),
  • une insuffisance de déclarations internationales de promotion de la santé faisant le lien entre santé humaine et santé des écosystèmes.

La promotion de la santé doit donc, elle aussi, se départir de sa vision anthropocentrée pour adopter de manière plus automatique une analyse globale, systémique et complexe.

Toutefois, les acteurs de terrain sont de plus en plus nombreux à vouloir s’emparer de ces enjeux et agir à l’instar de CAUSE (Collectif d’Action face à l’Urgence en Santé et en Environnement) qui fédère des acteurs du secteur sanitaire et médico-social pour agir face à l’urgence climatique. Ou encore la toute nouvelle association Alliance Santé Planétaire, réunissant essentiellement des acteurs de la santé, dont le but général est de « limiter les impacts des changements environnementaux causés par l'humain sur la santé du vivant en préservant un monde équitable, durable et sain ».

On observe des initiatives similaires issues des sphères connexes comme la préservation de la biodiversité, la santé animale, la protection de l’environnement… Un des enjeux réside alors dans la capacité des acteurs à se fédérer, à créer une réelle convergence et non à aboutir à un certain émiettement de l’action au détriment de dynamiques réellement transformatrices.

Par son approche transdisciplinaire, les acteurs de la promotion de la santé pourraient ainsi chercher à fédérer les initiatives émergentes, les donner à voir, organiser des espaces d’échanges et d’outillage des professionnels et bénévoles sur l’approche complexe [14]. En outre, si la prise de conscience de ces enjeux s’accélère, il faut toutefois poursuivre le travail de sensibilisation pour accompagner aux changements qui s’imposent. Ce qui peut se traduire par une multitude d’actions :

  • favoriser l’éducation dehors pour permettre un meilleur sentiment d’interdépendance avec l’écosystème,
  • renforcer la connaissance et la prise en compte de ses émotions et de sa sensibilité pour développer la réceptivité et la  connexion  au monde environnant (humains et non humains),
  • accompagner les territoires à prendre en compte les multiples déterminants de la santé humaine et de l’environnement dans la mise en œuvre de leurs politiques…

Ces actions cherchent bien à s’inscrire dans une approche globale et non plus anthropocentrée.  Mais il ne faut pas oublier que les dégradations de l’environnement n’impactent pas les groupes sociaux de manière identique. Et inversement, les impacts des groupes sociaux sur l’environnement sont tout autant très différenciés [15]. L’enjeu de la réduction des inégalités sociales et environnementales doit donc demeurer un cap à suivre, le niveau politique constituant alors un levier transformateur essentiel.

___________________

Rédaction :
Lucie PELOSSE, chargée de projets, référente régionale Santé-Environnement et Evaluation, IREPS ARA.


Références

[1] Site du ministère de l’agriculture français.
[2] Site de l’ANSES.
[3] Paul M, Delaporte E. et al., L’émergence des nouvelles épidémies s’accélère, comment y faire face ?, The conversation, juin 2020.
[4] Muraille E., L’approche One Health : un changement de paradigme indispensable en santé publique, Education santé, octobre 2021.
[5] Le ministre de la santé Olivier Véran y a fait référence lors de son allocution pour l’ouverture du colloque de le Société Française de Santé Publique en octobre 2021.
[6] Parodi A.L., Le concept « One Health », une seule santé : réalité et perspectives. Bulletin Académie nationale de médecine, mai 2021.
[7] Morand S. et al.,  De One Health à Ecohealth, cartographie du chantier inachevé de l’intégration des santés humaine, animale et environnementale, Décryptage IDRI, mai 2020.
[8] Figure tirée de De One Health à Ecohealth, cartographie du chantier inachevé de l’intégration des santés humaine, animale et environnemental. S. Morand et al. Décryptage IDRI, mai 2020. Source originale Assmuth et al.
Le terme « méthodologies » renvoie aux pratiques et mise en politique des concepts. Par « avancées » est entendu un niveau de prise en compte élevé de l’approche interconnectée dans les pratiques et mise en politique.
[9] Assmuth, T., Chen, X., Degeling, C. et al., Integrative concepts and practices of health in transdisciplinary social ecology, Socio Ecol Pract Res 2, 71–90 (2020).
[10] Laurent E. et Morand S., Bio-croissance ou bio-solidarité : la convention sur la diversité biologique à l’heure des choix, The conversation, octobre 2021.
[11] Muraille E., ibid.
[12] Morand S. et al., ibid.
[13] Patrick  R.  et  coll. (2016), relayé en français par Malengreaux S. et Doumont D., Lu pour vous : Comment le secteur de promotion de la santé peut-il contribuer aux enjeux soulevés par les changements climatiques ?, Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO,2021,6 p.
[14] Voir les ressources éclairantes de l’Atelier du complexe sur cette dimension et la nécessité de faire dialoguer différentes intelligences.
[15] Les travaux de Deldrève V. révèlent que ce sont les groupes sociaux les plus favorisés qui ont les pratiques les plus impactantes pour l’environnement.

Illustration schéma One Health : Jeanloujustine, CC, Wikipedia.



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Elle a été conçue par l'IREPS et le GRAINE ARA dans le cadre du Pôle Éducation et Promotion de la Santé-Environnement ARA, avec le soutien financier de l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes. Elle s'inscrit dans le cadre d'un groupe multipartenarial associant la Mutualité française ARA, la Métropole de Lyon et le Centre Léon Bérard.

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