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imageInteractions Santé - Septembre 2022

L’aide alimentaire dans une situation inédite

Depuis 2020, la crise sanitaire a eu un impact délétère sur les conditions d'existence des personnes bénéficiaires de l'aide alimentaire.

Les demandes d’aide alimentaire sont en augmentation, en particulier dans les grandes villes, alors que le nombre de salariés et bénévoles des structures d’aide alimentaire pour les accueillir est en baisse.

Pour répondre à l’urgence alimentaire, les structures priorisent parfois leur action autour de la distribution. Pourtant, au delà de l’alimentation, c’est en considérant les personnes dans leur globalité que l’on peut identifier et agir sur les différents déterminants qui les amènent à la précarité alimentaire. Dans ce contexte difficile, quelles sont les pistes d’action ?

Des demandes d’aide alimentaire en hausse mais des bras en moins

Depuis le début de la crise sanitaire, d’après plusieurs études récentes [1] [2], le nombre de bénéficiaires a augmenté en moyenne de 21 à 36 % dans les structures qui font de la distribution d’aide d'alimentaire [2]. Si cette évolution touche particulièrement les grands centres d’accueil, elle concerne aussi les épiceries sociales et solidaires. Au-delà de l’alimentation, celles-ci accompagnent les personnes dans leur parcours de vie, dans la consolidation de leurs liens sociaux. L’alimentation est ainsi considérée comme une porte d’entrée à un accompagnement plus global des personnes.

En parallèle, cette demande croissante s’accompagne aussi du constat que de « nouveaux » publics apparaissent, ou du moins qu’ils sont plus nombreux, comme des familles monoparentales, des femmes avec des enfants en bas âge ou des étudiants. D’après une enquête de l’INSEE menée fin 2021 [3], les principaux bénéficiaires des paniers alimentaires et des épiceries sont à 72% des femmes dont 40% élèvent seules un ou plusieurs enfants. Il est alors difficile pour les structures d’accueillir toutes les demandes, car elles manquent actuellement de personnels, fonctionnent en effectifs réduits et connaissent un important turn-over de bénévoles et salariés. Elles fonctionnent le plus souvent grâce à une proportion importante de bénévoles, parfois âgés et qui ont été isolés à domicile pendant les confinements successifs. Peu à peu, ils ont été coupés du lien qui les unissait avec les structures d’aide alimentaire.

Avec une augmentation du nombre de demandes, et simultanément moins de moyens pour les accueillir, les épiceries sont désormais parfois contraintes de recentrer leur action sur l’urgence alimentaire et la distribution, au détriment de projets collectifs permettant de favoriser le lien entre les personnes. Il s’agit d’un contexte préoccupant quand on sait que l'alimentation est un indicateur important d’inégalités sociales de santé [4]. La précarité alimentaire peut signifier une situation de précarité plus globale, avec un cumul des inégalités.

L’alimentation, une porte d’entrée pour une approche plus globale de la santé

Favoriser une alimentation favorable à la santé nécessite de prendre en compte plusieurs facteurs : les habitudes, les représentations de la personne, sa culture, ses origines, sa compréhension des recommandations nutritionnelles, son rapport à l’activité physique, ses ressources, ses conditions de logement, son territoire de vie et le réseau d’acteurs qui le compose. L’enjeu est de considérer tous ces déterminants et d’accompagner sans prescrire, au plus près des besoins de la personne, au centre des décisions qui la concernent.

Pour cela, depuis plus de 10 ans, l’IREPS ARA accompagne les acteurs de l’aide alimentaire en Auvergne-Rhône-Alpes, et notamment les épiceries sociales et solidaires, en partenariat avec le GESRA [5] depuis 2021. Les épiceries sont une centaine dans la région. Elles proposent un accompagnement global de la personne, considérant qu’au-delà de la distribution de nourriture, le maintien du lien social est aussi un vecteur de lutte contre la précarité.

En tant qu’acteur ressource en promotion de la santé, l’IREPS accompagne les épiceries volontaires, au centre de dynamiques territoriales réunissant divers acteurs (aide alimentaire mais aussi santé, social, éducation…). A partir des besoins et attentes en local, l’IREPS propose des formations, sensibilisations, temps d’échanges de pratique et co-animations d’ateliers collectifs. En lien avec les orientations du Programme National Nutrition Santé 2019-2023 et avec le soutien de l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes, l’enjeu est de promouvoir une nutrition favorable à la santé en direction des populations les plus précaires et les plus exposées aux inégalités sociales de santé. Cependant, le contexte actuel fait que les structures peinent parfois à se mobiliser.

L’enjeu : rester attentif aux personnes bénéficiaires et maintenir le lien social

Il est pourtant nécessaire d'être très attentif aux publics et notamment aux nouveaux bénéficiaires des épiceries sociales et solidaires, en partageant des valeurs et des postures communes entre bénévoles et salariés au sein des épiceries.

Être attentif, ce n’est pas seulement donner, c’est aussi permettre aux personnes bénéficiaires de garder leur dignité et leur libre-arbitre, ce qui passe parfois par des choses très simples : si la personne n’aime pas la confiture à l’abricot, prendre le temps de regarder s’il n’y a pas de confiture à la fraise, par exemple. Dans une même optique, ce n’est pas parce qu'on est bénéficiaire de l'aide alimentaire qu’on n'a pas le droit de manger sain et équilibré. Les structures font d’ailleurs leur possible pour proposer une alimentation diversifiée, équilibrée, durable et de qualité, au regard des recommandations nutritionnelles.

Être attentif, c’est aussi accueillir autant que possible les personnes dans un environnement soigné, chaleureux et accessible. Dans les épiceries, l’organisation de l’espace et la disposition des locaux participent également à un accueil de qualité.

Cependant, avec un accroissement des besoins et moins de moyens pour y répondre, avec un fort turn-over et des problèmes matériels, les épiceries ont bien moins qu’avant la possibilité d’être attentives à chaque bénéficiaire. Il devient parfois difficile de continuer à mettre en œuvre des activités collectives, comme les ateliers couture, cuisine, lecture, balade dans le quartier, réflexologie… Ces activités jouent pourtant un rôle de lien social prépondérant pour les bénéficiaires et pour la vie de quartier.

Et si on mutualisait les ressources et les moyens sur les territoires ?

Mais alors comment faire du lien entre les acteurs pour que l’aide alimentaire devienne un objet de travail commun ?
Plusieurs pistes d’action [6] peuvent s’envisager : identifier les acteurs présents sur son territoire, renforcer l’interconnaissance (missions et fonctionnement), acquérir un langage commun, identifier des besoins communs, renforcer l’échange de pratiques, mutualiser les ressources matérielles, les moyens humains, les denrées, coordonner les plages d’ouverture des structures d’accueil, améliorer l’orientation des personnes bénéficiaires vers les autres professionnels ou structures du territoire…
Une épicerie peut, par exemple, s’associer avec le centre social du quartier pour organiser des ateliers cuisine, se mettre en lien avec une association sportive pour favoriser l’activité physique de leurs bénéficiaires, ou même tout simplement se prêter du matériel, s’aider mutuellement grâce aux bénévoles qui souhaitent ponctuellement prêter main forte dans une autre structure.

Tout l’enjeu consiste donc à interroger les déterminants de la précarité alimentaire puis à nouer des liens entre acteurs locaux de différents champs pour agir. Les Centres d'Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS), les centres sociaux, le secours populaire, le secours catholique, les PMI, les (inter)collectivités, les dispositifs locaux comme les Contrats Locaux de Santé (CLS) ou les Dispositif d’Accompagnement à la Pratique d’Activité Physique (DAPAP) sont autant d’acteurs complémentaires qui, ensemble, peuvent contribuer à lutter contre la précarité alimentaire.

Dans une même optique, la collaboration avec les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), qui se multiplient aujourd’hui, est prometteuse. Issus de la Loi d'avenir pour l'agriculture en 2014, les PAT sont élaborés de manière concertée à l’initiative des acteurs d'un territoire pour relocaliser l'agriculture et l'alimentation, pour développer une alimentation durable et de qualité accessible à tous. Ils constituent une opportunité d'organisation et de dynamique territoriale, au carrefour entre l’agriculture, l'environnement et l'alimentation, permettant de redonner du pouvoir à l'échelle locale. Ils peuvent en cela aider à ce que les demandeurs d’aide alimentaire aient accès à des produits de qualité. L’IREPS ARA, par sa neutralité et son approche, peut faciliter les diagnostics territoriaux et cette mise en réseau.

Identifions les besoins et associons les acteurs locaux : c’est grâce à la volonté d'une approche territoriale, dans laquelle le territoire peut trouver lui-même ses réponses, que le secteur de l’aide alimentaire pourra assurer sa mission.

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Rédaction :
Régis CANAUD, chargé de projets, référent régional "Nutrition et Rythmes de vie" - IREPS ARA
Anne DEMOTZ, chargée de communication - IREPS ARA

Références

[1] Aide alimentaire : une fréquentation accrue des centres de distribution dans les grandes villes les plus exposées à la pauvreté début 2021, DREES, février 2022.
[2] Retour d’expérience de la crise covid-19 : période du premier confinement national, Conseil National de l’Alimentation, avis 89, juillet 2021.
[3] La crise sanitaire a accentué la précarité des bénéficiaires de l’aide alimentaire, INSEE, juin 2022.
[4] Programme National Nutrition Santé (PNNS) 2019-2023.
[5] Groupement des Épiceries Sociales et Solidaires Rhône-Alpes Auvergne.
[6] Promouvoir une alimentation équilibre des bénéficiaires de l’aide alimentaire en favorisant le lien entre les acteurs des structures : évaluation - synthèse des résultats des entretiens réalisés auprès des acteurs de l’aide alimentaire des structures accompagnées par l’IREPS ARA en 2016-2018 en Rhône-Alpes.

Découvrez aussi l'interview de Lucile MONOT, responsable de l’épicerie sociale et solidaire de Trévoux dans l’Ain et co-présidente du GESRA :
Aide alimentaire : « Il faut sortir d’une logique uniquement centrée sur les restes. »