Interactions Santé - Avril 2021
La vaccination est une avancée médico-scientifique majeure de l’histoire contemporaine, mais sa pratique et son acceptabilité sont aujourd’hui contestées dans de nombreux pays, tout particulièrement en France.
Dans le contexte de campagnes vaccinales en cours contre la pandémie de Covid-19, cet article revient sur les principaux facteurs sociaux, culturels et psychologiques qui nourrissent l’hésitation vaccinale et sur les modalités possibles de soutien de nos structures à vos actions en faveur de la vaccination.
L’hésitation vaccinale désigne un ensemble d’attitudes et de comportements vis-à-vis de la vaccination en général ou d’un vaccin en particulier, pouvant amener à refuser une vaccination, à l’accepter mais avec retard, ou à l’accepter tout en nourrissant des doutes à son égard, le tout dans un contexte de disponibilité des vaccins (1).
Cette palette de nuances suggère que l’hésitation vaccinale n’aboutit pas toujours à un refus de la vaccination, et encore moins pour l’ensemble des vaccins. Dans les pays développés, leur rejet catégorique est d’ailleurs rare (2). En France, la proportion de personnes vraiment « antivaccins » est estimée entre 5 et 10 % de la population (3), on constate que de nombreuses personnes ayant initialement refusé un vaccin en particulier finissent par changer d'avis (4). Cela nous suggère deux constats :
De leurs origines jusqu’à aujourd’hui, les savoirs et les pratiques liés à la vaccination ont constamment été et sont toujours débattus et controversés, tant dans la société que dans le monde médical et scientifique. On peut parler en cela d’une question socialement vive (QSV).
Cependant, l’hésitation vaccinale pouvant découler de ces débats et controverses préoccupe les pouvoirs politiques et les autorités de santé, dans un contexte où des combats contre certaines pathologies à prévention vaccinale restent inachevés, et où, en parallèle, les risques d’émergence de nouveaux pathogènes semblent augmenter. Au point que l’hésitation vaccinale a été présentée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2019 - peu avant la pandémie de covid-19 en cours - comme une des dix plus grandes menaces pesant sur la santé mondiale.
En France, dans l’état actuel du droit, la vaccination n’est obligatoire en population générale que pour certaines catégories d’âge (les jeunes enfants) et certaines maladies (onze). Pour les autres tranches d’âges et pathologies vaccinables, la vaccination peut être recommandée ou indiquée (par exemple pour les voyageurs) mais ne peut pas être imposée. Dans ces conditions, le succès d’une campagne vaccinale repose sur l’adhésion de la population. S’agissant de la covid-19, l’enjeu est d’autant plus prégnant qu’il semble qu’une sortie de crise à moyen terme passera notamment par la dispensation à grande échelle d’un vaccin efficace.
Dans le pays de Pasteur, traditionnellement favorable à la vaccination, la méfiance du public envers les vaccins est devenue un phénomène massif et structurel (7). Ce basculement trouve sa source dans la conjonction de plusieurs éléments de contexte survenus ces dix à vingt dernières années (certains communs à l’ensemble des pays développés, d’autres plus spécifiquement français) :
Par ailleurs, dans le contexte singulier de la crise sanitaire liée à la covid-19, des éléments supplémentaires sont susceptibles d’entraver l’adhésion à la campagne de vaccination en cours de déploiement :
Outre les phénomènes historiques et socioculturels précédemment décrits, de nombreux facteurs psychologiques peuvent nourrir l’hésitation vaccinale. Ainsi, au niveau individuel, la décision de se faire ou non vacciner repose en grande partie sur un arbitrage intuitif entre :
Le décalage entre risques perçus (penser que les effets secondaires ou indésirables des vaccins sont fréquents) et risques objectifs (données d’épidémio-surveillance indiquant qu’ils sont en réalité extrêmement rares) résulte souvent de biais cognitifs. Nous avons ainsi tendance à plus facilement retenir des informations négatives que positives (biais de négativité), ou qui corroborent nos opinions et hypothèses préalables (biais de confirmation) - phénomène par ailleurs largement favorisé par le fonctionnement même des réseaux sociaux.
Ces raccourcis mentaux peuvent faire prendre des décisions irrationnelles sur la base d’une analyse « bénéfices-risques » elle-même fondée sur l’état des connaissances scientifiques… à supposer que l’on dispose des connaissances minimales à la compréhension du sujet (principe général de la vaccination, rôle et le fonctionnement du système immunitaire notamment). Cependant, de nombreux travaux en sciences sociales montrent qu’au-delà des connaissances « objectives », la perception des risques et leur acceptabilité est également influencée par une diversité d’autres dimensions subjectives, cumulatives entre elles (13). Cela trouve de nombreuses illustrations s’agissant de la vaccination (14) :
La campagne vaccinale actuellement en déploiement auprès de certaines populations est amenée à s’ouvrir à la population générale dans les prochaines semaines et prochains mois.
Quelles que soient vos fonctions, les publics que vous avez en charge et les contextes professionnels dans lesquels vous évoluez, les chargé.e.s de projets et documentalistes de l’IREPS, de l’ADES et de l’ADESSA peuvent vous accompagner dans la construction, la mise en œuvre, et (par la suite) l’évaluation, de vos actions.
A titre d’exemple (non exhaustif) :
Communiquer localement sur la vaccination : attention à la cohérence des discours
Selon la géographe de la santé et chercheuse associée à l’Institut français de géopolitique (IFG) Lucie Guimier, dans un contexte où le manque de confiance et la défiance vis-à-vis des autorités peuvent créer des fractures, « il importe de maintenir de la clarté pour la population, afin qu’elle ne soit pas confrontée à des injonctions contradictoires entre l’État et les collectivités locales. Il faut faire attention à ce qu’une campagne locale reste claire pour tout le monde, que les personnes sachent où se rendre. Qu’on ne leur dise pas, d’un côté, d’aller chez leur médecin généraliste et, de l’autre, dans un vaccinodrome géré par la ville. La clarté du parcours vaccinal pour la population est essentielle.» Cette attention à la clarté du discours doit aussi être portée à l’échelle du territoire, car « si tel ou telle collectivité décide de s’impliquer mais pas la collectivité voisine, cela peut être contre-productif ».
Rédaction : Léo Calzetta, IREPS ARAArticle rédigé pour la lettre Interactions Santé.
1. Peretti-Watel P. et al., 2015.2. Brewer et al., 2017.3. Guimier L., 2020.4. Kornides et al., 2018.5. « Les intentions de vaccination des Français en chute de 14 points depuis octobre dernier », IPSOS, 4 janvier 2021 ; « Les Français et le covid-19 : (…) intention de se faire vacciner », Ifop, 30 novembre 2020.6. Collange F, 2019.7. Baromètre santé 2016 ; Bocquier A., Fressard L., Cortaredona S., et al., 2018.8. Raude J, 2020.9. Burton-Jeangros C., 2020.10. Burton Jeangros C., 2020.11. Pole ESE ARA, Amiet E., 2019.12. Raude J., 2020.13. Pole ESE ARA, Amiet E., 2019.14. D’après Slovic et Fischhoff, 1978.15. Pole ESE ARA, Amiet E., 2019.