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Interactions Santé - Octobre 2020


« La médiation en santé a plusieurs visages car la précarité a plusieurs visages  »

Les médiateurs en santé, à l'interface du social et de la santé, accueillent et accompagnent des publics très variés : personnes âgées, sans domicile fixe, familles en difficulté sociale, migrants… Leurs rôle : redonner de l’importance à la santé dans des quotidiens difficiles et favoriser l’accès aux soins, sur le plan médical et administratif. Un accompagnement humain tout-terrains.



Rencontre avec Audrey BORNE, médiatrice santé à l’Association de lutte contre le Sida et pour la Santé sexuelle (ALS)
et Louise BERGER, médiatrice santé à l’Association lyonnaise d’ingénierie sociale (ALIS), accueil de jour pour les personnes sans domicile fixe.


Quels sont les publics que vous recevez ? Et avec quelles problématiques arrivent-ils ?
Audrey Borne : Nous accueillons un public très large : des familles, des gens isolés, des migrants, etc. Les principales problématiques sont liées à l’accès au droit à la santé. Concrètement, ce sont souvent des gens qui n’ont jamais fait de démarches pour avoir des droits ouverts à la Sécurité sociale ou à une complémentaire santé, ou bien des personnes qui  ne connaissent pas leurs droits. La deuxième grande problématique, c’est l’accès aux soins : savoir où aller se faire soigner pour un tarif qui correspond à sa situation, connaître les dispositifs qui permettent d’être soigné gratuitement ou d’être bien remboursé. D’autres questions peuvent également être abordées tels que les examens à effectuer avant une hospitalisation ou des difficultés liées à la santé mentale.

« L’accès aux droits et aux soins est compliqué à cause d’un épuisement général dû aux difficultés sociales rencontrées par ces personnes. »


Louise Berger : La médiation santé dans notre association concerne les personnes de l’accueil de jour, c’est-à-dire des personnes majeures de plus de 25 ans. Ce sont principalement des hommes, mais il y a aussi des femmes et des familles. Les trois problématiques principales de ces publics sont d’être sans domicile fixe, de rencontrer des difficultés financières et l’isolement. L’accès aux droits et aux soins est compliqué à cause d’une méconnaissance des dispositifs et d’un épuisement général dû aux difficultés sociales rencontrées par ces personnes.

Avec le contexte sanitaire des derniers mois, avez-vous constaté de nouvelles difficultés pour les habitants ?
Audrey B. : La crise du Covid, et le confinement en particulier, ont aggravé la situation de nombreux habitants.  Les différentes administrations ont multiplié les démarches numériques, ce qui a accentué la fracture numérique : beaucoup de personnes n’étaient pas équipées ou ne maîtrisaient pas suffisamment l’outil informatique. Certains services ont heureusement rallongé les délais pour faire les démarches, notamment ceux relatifs à la Complémentaire Santé Solidaire.

Certaines familles nous ont fait savoir qu’elles n’avaient pas de quoi se nourrir correctement : les enfants, qui habituellement magent à la cantine pour un tarif solidaire très peu élevé, se sont retrouvés à la maison... et il était compliqué d'avoir trois repas complets par jour. Toutes ces personnes se sont senties isolées, ce qui a accru le stress déjà généré par la pandémie. Depuis le déconfinement, dans chaque quartier où nous intervenons, nous avons mis en place des temps collectifs de discussion autour de la santé afin de comprendre quels étaient les besoins des habitants aujourd’hui : la question du bien-être et de la santé mentale a émergé comme un des axes prioritaires à travailler sur les mois à venir, suivie de la thématique des rythmes de vie (sommeil, écrans…), de l’alimentation et de l’activité physique.

« Il y a toujours des habitants qui ont le rôle de relais communautaire et qui vont faire connaitre la permanence. »

Comment ces publics arrivent-ils jusqu’à vous ?
Audrey B. : Ils arrivent après avoir été aiguillés par des professionnels : des médecins, des assistants sociaux, des centres sociaux, des missions locales, etc. Il y a diverses portes d’entrée : cela peut être lié à l’emploi, la santé, l’hébergement, au social. Le bouche-à-oreille fonctionne bien. Une fois qu’une permanence est repérée par les habitants, ceux-ci prennent le rôle de relais communautaire et vont faire connaitre la permanence. Souvent, les personnes que nous recevons en premier, quand nous installons une permanence, ce ne sont pas celles avec les plus grandes difficultés. Ce sont celles qui ont la capacité de venir nous voir le plus facilement, de nous identifier. La médiation dans les quartiers fonctionne à tous les niveaux : les professionnels, les voisins, parfois dans les écoles pour toucher les familles… l’idée est de toucher les publics qui en ont le plus besoin et ne viennent pas aux permanences ni aux  actions collectives que nous organisons dans les quartiers pour parler santé avec les habitants sur des thèmes qui les préoccupent (alimentation, sommeil, diabète, stress…)

« Des troubles psychiatriques rendent parfois compliqué d’entendre les demandes et les besoins des personnes. »

Quelles difficultés rencontrez-vous-vous dans l’accompagnement des publics ?
Audrey B. : Nous rencontrons les barrières classiques de l’accompagnement de personnes qui rendent la communication parfois difficile : la barrière de la langue, ou alors des troubles psychiatriques qui rendent parfois compliqué d’entendre les demandes et les besoins des personnes, etc. Il y a aussi tous les freins liés à la difficulté d’accéder au numérique. Cela se traduit par des interruptions dans le suivi des dossiers. Beaucoup de personnes ont commencé les démarches avec trois ou quatre partenaires et ont arrêté parce qu’il manque continuellement un document. Nous ne suivons pas forcément des personnes sans domicile fixe mais des personnes vulnérables à plusieurs niveaux : elles ont du mal à s’investir dans la recherche d’emploi, d’un logement fixe, dans les démarches d’accompagnement social. C’est pour cela qu’il y a un intérêt que la médiation santé soit proposée au plus près des habitants, dans les quartiers, sans rendez-vous. Cela évite de répéter les freins que ces publics rencontrent déjà par ailleurs avec d’autres organismes.

« Avoir suffisamment de partenaires permet d’être en lien pour éviter d’entamer des démarches sans qu’elles aboutissent, d’aller au bout. »

De quels leviers disposez-vous pour y faire face ?
Audrey B. : Il y a justement cette idée « d’être au plus près ». Un autre levier consiste à travailler avec de nombreux partenaires qui ne sont pas forcément du champ social, des associations d’habitants par exemple. L’intérêt est que les personnes le plus en difficulté puissent venir nous voir, qu’il y ait une permanence, sans rendez-vous, où l’on peut venir plusieurs fois et sans être limité dans le temps. Etre en lien avec suffisamment de partenaires permet d'éviter d’entamer des démarches qui n'aboutiraient pas, d’aller au bout. Nous avons un levier supplémentaire : nous pouvons accompagner ponctuellement les personnes reçues physiquement, comme par exemple à la Sécurité sociale, chez un psychologue. Cela reste ponctuel car c’est très chronophage mais quand nous sentons que sans ce petit accompagnement, nous risquons de mettre à mal une démarche, c’est intéressant. Cet accompagnement permet à la personne, avec une idée d’autonomisation, de repérer le lieu pour y aller seule la fois suivante, d’aller chercher un formulaire. L’ambition est d’éclaircir des démarches qui sont souvent très confuses et lourdes pour ces personnes. La complexité s’ajoute et rend l’abandon très facile, même pour des personnes qui parlent français. Un des ressorts principaux de la médiation santé est de gagner la confiance des personnes.

« Quand on est en difficulté sociale, qu’on est à la rue, comment gérer des rendez-vous avec des jours et des heures ? »

Comment cela se passe à l’accueil de jour ?
Louise B. : Comme l’a expliqué Audrey Borne, la numérisation des démarches est compliquée. Elle est associée à la méconnaissance des dispositifs et à l’épuisement dont je parlais précédemment. Il y a aussi la temporalité, perçue très différemment selon nous tous. Quand on est en difficulté sociale, qu’on est à la rue, comment gérer des rendez-vous avec des jours et des heures ? C’est pour cela que nous accueillons lors de permanences sans rendez-vous. Le fait d’aller vers les gens répond aux freins de la méconnaissance des dispositifs et de l’épuisement. L’accompagnement physique ponctuel est aussi possible dans le cadre de la médiation santé que nous proposons à Alis.

Sur ces dernières années, repérez-vous des évolutions dans votre activité, en dehors de la question de la numérisation dont nous avons déjà parlé ?
Louise B. : Je pense à la complexification des démarches, mais aussi à l’évolution des publics qui ont de moins en moins de droits mobilisables. En accueil de jour, nous accueillons de plus en plus de migrants. Pour eux, l’accès aux droits, dont les droits à la santé, est très restreint. Nous rencontrons également la difficulté à faire valoir des droits car les démarches sont de plus en plus complexes. Il y a par exemple des personnes avec qui nous avons fait un dossier l’année dernière et qui sont prêtes à le faire de manière autonome cette année. Le problème est qu’entre-temps, la Sécurité sociale demande trois nouveaux papiers. Ces personnes ont fait les démarches seules, ça n’a pas marché, alors elles reviennent me voir.

« Il existe de moins en moins de permanences sans rendez-vous dans les lieux de service public »

Audrey B. : Même si nous travaillons dans les quartiers, la part de personnes migrantes que nous accueillons augmente aussi. Ces personnes sont perdues pour toutes les démarches, et les services publics et de droit commun ne facilitent pas l’accès à l’information. Il existe de moins en moins de permanences sans rendez-vous dans les lieux de service public, avec peu de personnes qui accueillent et informent les personnes qui arrivent. Il y a toute une procédure : il faut prendre rendez-vous. Sans numéro de sécurité sociale, par exemple, c’est compliqué de prendre rendez-vous. Ce sont des barrières supplémentaires que l’on ne rencontrait pas il y a quelques années parce qu’il y avait davantage de lieux d’accueil de service public et de droit commun. Maintenant, la tendance est de les regrouper : les personnes se sentent perdues et abandonnent parfois les démarches. Dans certains lieux spécifiques, il existe un premier accueil sans rendez-vous mais ce n’est qu’un diagnostic qui débouche sur une prise de rendez-vous avec des délais de plus en plus longs. Une personne, quand elle est motivée, prête, qu’elle s’est mobilisée pour une démarche, si on lui dit de revenir dans trois semaines, il y a des chances qu’on la perde en route.

Louise B. : Pour les personnes que nous accueillons à Alis, lorsqu’il y a un délai de trois semaines, c’est compliqué de savoir où elles seront à ce moment-là. « Trois semaines », ça n’a pas de sens !


« Il y a un nombre important de personnes qui n'ont pas recours à leurs droits »


En quoi estimez-vous que votre métier est indispensable dans l’accès aux soins ?

Audrey B. : Dans les années qui viennent, si les systèmes de santé et social continuent d’évoluer en suivant la ligne déjà prise, et dont nous venons de parler, nous ressentons bien le besoin d’avoir des médiateurs santé dans davantage de structures pour pouvoir toucher le plus grand nombre de publics. Contrairement à ce qu’on entend souvent, personne n'abuse des aides. Il y a plutôt un important nombre de personnes qui n’ont pas recours à leurs droits. Entre 40% et 50% des personnes qui ont droit à l’aide médicale de l’Etat (AME) y ont recours. La Complémentaire santé solidaire (ancienne CMU, ndlr) est aussi peu demandée. L’idée est que les personnes aient recours à leurs droits, rien de plus. Cela leur permettrait de faire des soins qui évitent, s’ils ne sont pas faits, une prise en charge sanitaire beaucoup plus élevée. Quand une personne a passé dix ans sans se faire soigner les dents, le soin sera beaucoup plus important que s’il y avait eu un suivi régulier.
Le travail des médiateurs santé va au-delà de répondre à un dossier de Complémentaire santé solidaire ou d’AME. Notre rôle est de sensibiliser les publics à l’importance de la santé, que cela ne passe pas après tout le reste. Car la santé est ce qui est le plus facilement abandonné quand la personne est en difficulté économique, sociale, etc.

Louise B. : Prendre soin de soi est une démarche difficile, qui demande de l’énergie. Quand une personne a des difficultés sociales, que s’ajoute la complexité des procédures, la santé passe après. Notre question est : comment recréer du lien avec les publics accueillis ? La médiation santé fait partie des réponses car notre principe est de s’adapter aux personnes, et non pas l’inverse, car parfois, cet inverse n’est pas possible.

« La médiation santé a plusieurs visages car la précarité a plusieurs visages »


La médiation santé a plusieurs visages car la précarité a plusieurs visages ; les populations sont très différentes. Entre médiateurs, nous avons un tronc commun mais des pratiques différentes. En milieu rural, la médiation santé, ce sont des personnes qui prennent leur voiture et vont voir les personnes à leur domicile, restent longtemps chez elles car il y a parfois beaucoup de route. Selon les lieux et les publics, les problématiques d’accès aux soins ne sont pas les mêmes. L'intérêt de développer les actions de médiations santé, c'est que cela se construit par rapport aux personnes et à leurs besoins.

Audrey B. : Certains médiateurs santé vont dans les squats, les bidonvilles. Ils peuvent travailler avec une communauté particulière, une pathologie particulière, les personnes âgées, celles isolées, etc.
La crise sanitaire met en exergue cette nécessité d’accompagner les habitants pour les aider à connaître leurs droits, à identifier les ressources existantes, à échanger avec d’autres personnes sur des thématiques de santé qui les concernent... en un mot pour leur permettre de devenir acteur de leur propre santé et ainsi renforcer leur capacité à « affronter » une crise telle que la pandémie du COVID 19. Selon la situation de chacun, cet objectif d’autonomisation se situe à plus ou moins long terme mais il demeure ce vers quoi la médiation santé doit tendre.

La médiation santé se construit au fur et à mesure, elle est toujours en mouvement.

Propos recueillis par Anne Demotz et Adeline Charvet.

Entretien réalisé pour la lettre Interactions Santé, octobre 2020.



La médiation santé en pratique




A l’Association de lutte contre le Sida et pour la Santé sexuelle (ALS)

  • Un dispositif de Médiation Santé qui ne s’adresse pas en particulier aux personnes concernées par le VIH/Sida mais à tout habitant des quartiers politique de la ville
  • Deux médiateurs en santé
  • Accueil par demi-journée ouvert à tous les habitants concernant l’accès aux droits à la santé et l’accès aux soins
  • Sans rendez-vous
  • Une permanence par quartier et par semaine
  • Sur trois arrondissements à Lyon : 5ème (Janin/Champvert) - 7ème (Cités sociales de Gerland) - 9ème (Duchère, Gorge de Loup, le Vergoin)
  • Actions collectives sur des thématiques de santé animées avec des partenaires
  • Création d’un réseau de partenaires collaborateurs

A l'Association lyonnaise d’ingénierie sociale (ALIS)

  • Une médiatrice en santé
  • Travail en lien avec les travailleurs sociaux de l’accueil de jour et la psychologue
  • Permanence le matin à l’accueil de jour qui est installé à Lyon 1er
  • Avec ou sans rendez-vous
  • Ouvert à tous (public principal : personnes sans abri)
  • Maraudes dans le quartier avec d’autres acteurs de l’urgence sociale (Samu social, Interface SDF, équipe mobile de l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu).
  • Création d’un réseau de partenaires collaborateurs