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imageInteractions Santé - Décembre 2021



"Quand on est dans la nature, on a davantage de compétences intellectuelles"

En Ardèche, toutes les semaines, des enfants font école dans la nature, grâce au dispositif "Eduquer dehors". En quoi cela permet-il de sensibiliser les enfants à l'environnement mais aussi d'améliorer leur santé ? Et même de favoriser leurs apprentissages scolaires ? 

Entretien avec Baptiste LERICHE,
Animateur pédagogique du Syndicat de Gestion des Gorges de l'Ardèche
et membre du Collectif Pétale 07


En quoi consiste l'approche « Éduquer dehors » ? 

« Eduquer dehors », cela signifie éduquer dans la nature et à la nature. En tant qu’animateur éducation, environnement et développement durable, mon objectif est de remettre du lien entre l'enfant et le milieu naturel, de permettre aux enfants de se reconnecter avec le vivant.

Concrètement, j’accompagne des classe d’écoles primaires en milieu rural, près de la réserve naturelle des gorges de l'Ardèche. Nous choisissons un coin nature, à 15 ou 20 minutes de marche de l’école. L'idée est que ce milieu ne soit pas uniforme, qu’il y ait de la forêt mais également de la prairie, du milieu ouvert. 

Les enfants sortent une demi-journée par semaine. Sur une année scolaire, j'interviens 8 fois, autour de la découverte de la biodiversité, de l’environnement, du développement durable, etc. A chaque séance, nous faisons travailler les enfants sur une thématique précise. Sur les autres semaines, au même créneau horaire, les enseignantes font la sortie sans moi, pour des apprentissages davantage liés aux maths, au français, aux contes… 

Mon rôle consiste aussi à garantir la sécurité des sorties nature même quand je ne suis pas là. Cela signifie par exemple que les enfants aient bien compris quelle est la zone autorisée, s’il y a une route ou un point d'eau à proximité, avec des méthodes pédagogiques adaptées à l'âge des enfants. Je fais aussi de la sensibilisation en santé-environnement, autour des tiques, de l'ambroisie, des chenilles processionnaires, etc.

Bien sûr comme nous habitons dans un territoire très rural, sortir dans la nature est assez facile. Nous sommes privilégiés d’avoir ce cadre de travail permettant de mener ce genre de projets. Et nous bénéficions également du soutien de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes.

Votre projet incarne t-il le concept One health (une seule santé) ? 

C’est probablement un concept à la mode… Je dois savoir ce que c'est sans le savoir ! Si on entend par là l'interdépendance de la santé du milieu naturel avec la santé humaine, c’est en effet un des axes du projet. 

J'essaie par exemple de faire comprendre aux enfants, sans être trop négatif, quel est le fonctionnement scientifique du dérèglement climatique ou de l'effet de serre. Je leur fais découvrir que ces perturbations toucheront les milieux naturels, c’est-à-dire l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, la nourriture que nous mangeons, etc. L'interdépendance est donc ici très évidente. 

C’est la question de la responsabilité de notre espèce face à la santé du monde dans lequel on vit. J’ai le souci de laisser les enfants de primaires encore dans leur innocence. Mais comme action concrète, quand on voit des déchets, on les ramasse et cela permet aux enfants de s'exprimer sur leur vécu, sur la façon dont leurs parents trient les déchets par exemple. C’est l’occasion de réfléchir sur ces thématiques-là et de comprendre que la santé est partout autour de nous

Le dispositif d’Ecole nature peut-il se déployer en collège ? 

Non, c'est compliqué car les collèges se situent davantage en milieu urbain et le nombre d’enseignants sur une même journée est important. L’idée est plutôt d’amener de la nature et du vivant dans l'établissement. Par exemple, on peut apporter un poulailler avec des poules dans l’enceinte du collège, des bacs pour faire des petites plantations, du matériel pour construire des cabanes à insectes ou à oiseaux. Dans certains établissements, les collégiens ne voient que du béton : le fait d'avoir du vivant leur donne le sourire, les déstresse et leur fait du bien. C’est déjà un bienfait en terme de santé psychique. 

Quelles évolutions observez-vous chez les enfants qui participent au projet ? 

Le bénéfice de l’école nature pour les enfants est flagrant, ce que constatent notamment les enseignants qui les côtoient au quotidien. En premier lieu on s'aperçoit que cette sortie nature est un rituel que les enfants attendent. En cas d’annulation, ça leur manque ! Il y a donc vraiment de leur part une attente, une envie.  Ensuite, en termes de vie de groupe, cela permet de développer la coopération entre enfants. Pendant chaque demi-journée dans la nature, il y a un temps de jeu libre. Des enfants qui ne coopèrent pas habituellement dans la cour de l'école vont ici coopérer sur un projet, pour fabriquer une cabane par exemple : ils vont se mettre à « faire ensemble »

L'école nature exacerbe également les tensions et les émotions au sein du groupe. Si un enfant est un peu rejeté par les autres, dans la nature la situation va conduire beaucoup plus rapidement à des pleurs, des cris, voire des petits excès de violence. L'enseignant voit ainsi le problème émerger en quelques jours, aau lieu de plusieurs mois dans l’enceinte de l’école. Nous invitons alors les enfants à s’exprimer, à « vider leur sac ». C'est vraiment du gain de temps pour l'enseignant car cela permet de faire décanter les choses plus rapidement et de signaler des points de vigilance.

On constate également une évolution impressionnante en termes de motricité et de proprioception pour les enfants qui vont dans la nature. J’ai des exemples de petits de maternelle qui sortent très souvent avec leur enseignante et qui marchent sur des terrains variés, parfois glissants, dans les cailloux... En développant le lien membres-œil-cerveau, ils marchent mieux que des urbains de 40 ans ! 

D’autre part, quand je mène une séquence sur les insectes ou sur les oiseaux par exemple, j'éveille leur curiosité. Et cette curiosité ne s'éteint pas après la séance : deux semaines plus tard, les enfants vont me parler de choses qu'ils ont vues quand je n'étais pas là, en lien avec les oiseaux ou les insectes. Donc leur curiosité demeure. 

Cela développe également le lien familial et social. Les enfants retournent souvent le week-end au coin nature avec leurs parents pour leur montrer la cabane, pour bricoler avec le grand-père, etc. Cela crée une émulation qui sort du cadre de l'école.  Parfois, plusieurs familles se retrouvent pour aller pique-niquer dans le coin nature. Même les parents au départ un peu réticents au projet se rendent vite compte que leurs enfants se sentent bien et qu'eux-mêmes peuvent en profiter.

Tous ces aspects positifs vont ensuite remonter jusqu’à la municipalité ou l'intercommunalité qui vont chercher à aider le dispositif. Dans cette configuration, cela devient vraiment un cercle vertueux

Et avec la crise du Covid, il était urgent que les enfants ressortent.  Certains avaient pris du poids ou étaient un peu déprimés, d’autres avaient perdu la simple habitude de marcher. Le fait de retourner dehors, de reprendre le soleil, de jouer avec la nature et entre enfants, ça leur a vraiment fait du bien, c'était même salvateur pour certains. 

Quelles sont les clés de la réussite de l’école nature ? 

Une des clés de la réussite d'un projet école nature, c'est d’abord la motivation. Cette année, nous avons fait un appel à projets auprès des écoles de notre territoire et nous avons sélectionné les plus motivés.

Pour les enfants, le facteur de réussite est le binôme avec un animateur environnement et un enseignant motivé
Pour que le dispositif en lui-même réussisse, il faut également l’appui d’un territoire, une commune ou une collectivité, pour faciliter l'accès aux coins nature, entretenir ou sécuriser le coin nature, financer du matériel. Ce trinôme est important : il faut qu’on puisse conserver le coin de nature de façon pérenne, parce que l'objectif, c’est que l’enseignant puisse être autonome et continuer avec une nouvelle cohorte d'enfants les années suivantes

Le principe du projet, c'est donc de rendre les enseignants autonome et que le dispositif soit pérenne. Le mener une année, puis l’arrêter l'année suivante car il n’y a plus d'animateur, n'aurait pas de sens. Pour aider les enseignants, nous avons choisi comme support l'ouvrage L'école à ciel ouvert, de Sarah Wauquiez, qui permet aux enseignants de préparer des séquences d'apprentissage pédagogique en fonction du niveau de sa classe. En tout cas, on constate un effet « boule de neige » : les enseignants qui participent donnent rapidement des envies à ceux qui sont plus frileux. Et l'année d'après, ceux-ci peuvent passer le cap. 

Comme autre facteur de de réussite, il y a aussi le jeu libre : en observant ce qui se passe entre les enfants, nous pouvons ajuster les temps d'animation suivants. Et cela c'est nouveau : la récréation, quand les enfants s’amusent, pour l'Education nationale ou même pour les enseignants, ce n'est pas du temps qui compte. Mais en fait si ! Et dans la nature, c'est du temps qui compte plus encore. 

Enfin, il faut savoir adapter la sortie en fonction de l'âge des enfants. Pour des enfants de primaire, nous avons choisi un format de sortie à la demi-journée. Mais en maternelle, il est préférable de se limiter à 1h30, car les enfants se fatiguent vite, en choisissant un lieu à côté de l’école, et encore plus sécurisé. 
 

Quelles difficultés rencontrez-vous ?

Nous rencontrons parfois des difficultés pour avoir accès à un coin nature, même en zone rurale : l’idéal est de trouver un coin nature sur un terrain municipal. Mais quand ce n’est pas possible, nous devons demander des autorisations aux propriétaires privés.

Un autre frein, c'est peut-être parfois une certaine réticence de l'Education nationale. Nous devons nous justifier pour prouver que l’école nature n'est pas de l'amusement, qu’il s’agit d’enseignements fondamentaux avec de nombreux bénéfices pour la santé, la motricité, la curiosité. En jouant avec les textures et les objets dans la nature, on peut apprendre à compter et apporter simultanément de nombreuses compétences liées au programme de l'Education nationale. Donc nous devons sans cesse démontrer le bienfait de l’école nature, alors qu’il faudrait plutôt former les enseignants et financer davantage les interventions.

Nous voulons montrer que quand on est dans la nature, on a davantage de compétences intellectuelles, on peut  mieux travailler. Nous avons développé en ce sens un argumentaire autour des bienfaits de la nature sur la capacité de concentration et la capacité d'écoute. Sous la forme d’une exposition qui s’appellera Le syndrome de manque de nature, ce travail compilera toutes les recherches scientifiques faites depuis les années 60 dans différents pays du monde. Avec par exemple  le syndrome de la myopie dans les environnements urbains, ou le rôle bénéfique de la nature sur la convalescence de personnes hospitalisées. 
Notre vision, ce n’est pas de séparer les choses, mais de les relier.

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Propos recueillis par Anne Demotz, IREPS ARA.
Entretien réalisé pour la lettre Interactions Santé,  IREPS ARA, décembre 2021.


En savoir plus



Les structures d'animation à l'environnement et au développement durable de l’Ardèche sont réunies dans le collectif associatif Pétale 07, qui fait partie du réseau national LE FRENE.

  • L’école à ciel ouvert
    Ouvrage de Sarah Wauquiez, Nathalie Barras et Martina Henzi.
    Fondation SILVIVA, Edition La salamandre.