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imageInteractions Santé - Juin 2023



"Tout dépend de l’état émotionnel de la personne ."

Lors d’un entretien de médiation en santé, comment mettre en place un dialogue permettant de se comprendre ?

Dans de nombreux quartiers prioritaires de la région Auvergne-Rhône-Alpes, des médiateurs et médiatrices en santé assurent des permanences pour accueillir des publics en difficulté dans leurs démarches de santé. Leur rôle consiste à informer, conseiller et orienter les personnes, dans le cadre d’un entretien individuel, pour leur faciliter l’accès aux droits en santé, à la prévention et aux soins.

Mais quelles sont les conditions pour mener à bien cette mission ? L’une des clés est la « littératie relationnelle en santé », c’est-à-dire l’ensemble des moyens mis en œuvre pour créer une relation et un dialogue de qualité, au service de chacun. Pour le professionnel, il s’agit de cerner la situation et les besoins de son interlocuteur et s’assurer d’être compris ; pour le public, il s’agit de pouvoir exprimer ses besoins et de s’approprier les informations qui lui sont transmises.

Entretien avec Karima Tobal, Michèle Cagnon et Ilies Hamou.

Médiatrices et médiateur en santé à l’IREPS ARA délégation Rhône sur les communes de Feyzin, Lyon 3ème et 8e, Rillieux et Givors, ils nous expliquent leur manière de procéder pour améliorer la littératie en santé des publics qu’ils rencontrent au quotidien.

Demander de l’aide ou parler de sa santé à une personne que l’on ne connaît pas n’est pas facile. Comment faites-vous pour installer une relation de confiance ?

Le cadre de l’entretien est essentiel pour créer la confiance. Un endroit adapté au tête-à-tête est un lieu qui doit être convivial et adapté à la confidentialité. Idéalement cela peut être un bureau agréable, avec des plantes, propre et que l’on peut aérer. Grâce à quelques gouttes d’huile essentielle de lavande, on entend souvent « ça sent bon », « ça me rappelle mon enfance »... Bien sûr c’est l’idéal et il faut souvent composer avec la réalité.
Pour accueillir les personnes, nous allons les chercher dans la salle d’attente : « Je leur propose de venir dans le bureau, je les invite à s’assoir. »

L’essentiel est que la personne se sente à l’aise. Parfois, les bureaux sont partagés avec d’autres professionnels ou acteurs, et ne peuvent pas être personnalisés. Ou parfois les lieux ne sont pas du tout adaptés. Il nous arrive par exemple de faire des permanences dans une cuisine ou dans une immense pièce d’activité de centre social, parce que nous n’avons pas le choix. Dans ces cas-là, nous constatons que les personnes sont un peu perdues quand elles arrivent, elles ne comprennent pas où elles sont et pourquoi elles sont là.

Il s’agit ensuite de favoriser une relation directe. Nous recommandons de placer l’ordinateur en biais, cela permet à la personne de pouvoir elle aussi lire l’écran et surtout d’être bien en face pour dialoguer. Avec la crise sanitaire, il a certes fallu mettre une distance physique avec les personnes. Mais aujourd’hui le public s’est adapté, et nous aussi ! Le public s’est par exemple habitué à avoir un plexiglas entre nous et n’y fait plus attention.

Lors de l’entretien, comment s’assurer de l’expression des besoins et de la compréhension des infos transmises ?

Il est fondamental de se présenter, en donnant son prénom, son nom et sa mission. « J’explique la fonction et surtout ce qu’on n’est pas : ni un travailleur social ni un représentant de la CPAM ou du CCAS. »

Le déroulement de l’entretien change en fonction de l’état émotionnel de la personne. En général, nous commençons par un temps de recueil des données administratives. Parfois il est utile de demander à la personne, en introduction, la raison de sa venue, surtout si on s’aperçoit qu’elle en a besoin (elle semble perdue, intimidée…). Dans ce cas, le temps de recueil administratif se fera à la fin pour laisser la personne parler. Tout dépend de l’état émotionnel de la personne. Des personnes arrivent avec un « gros sac émotionnel » et on leur laisser le temps de le déposer avant de reprendre la main sur l’entretien.

Au cours des échanges, il est nécessaire de rassurer, de rebondir sur le positif et sur les capacités du public : « C’est difficile mais vous êtes très lucide ! », « C’est bien vous avez tous les papiers », « Le dossier est fait, une bonne chose de faite ! ». Souvent nous utilisons l’humour. Pour faire ce métier, il faut avoir envie de parler avec les personnes.

Dans le public que vous rencontrez, beaucoup s’expriment difficilement, voire ne parlent pas français. Comment faites-vous pour vous faire comprendre ?

Quand les personnes parlent une autre langue et que l’on ne se comprend pas, nous utilisons des outils de traduction. Cela nécessite plus de temps. Et si la communication n’est vraiment pas possible, nous leur proposons de revenir une autre fois avec un proche ou une connaissance pour l’interprétariat.

Il faut beaucoup vulgariser et toujours s’adapter aux personnes pour leur permettre de comprendre plus facilement les informations que nous souhaitons leur transmettre. Nous utilisons beaucoup de visuels (des schémas, des images, des logos comme ceux de la CAF, de la CPAM…). Nous avons aussi souvent, dans nos locaux, des affiches d’association vers lesquelles orienter.

Comment être à l’écoute tout en étant contraint par le temps ?

Tout dépend des situations et des modalités, par exemple si la permanence est avec ou sans rendez-vous. Et finalement, même quand il y a des personnes qui attendent, le temps se gère bien : certains ont besoin de 5 ou 15 min (surtout pour les questions d’accès au droit…), alors que d’autres ont besoin de plus de temps si elles ne se sentent pas bien ou si elles viennent avec une demande plus complexe sur leur parcours de soins. Quand les personnes ont besoin de plusieurs aides ou qu’il faut y passer plus de temps, nous pouvons aussi leur proposer de revenir une seconde fois. Il n’y a pas de permanence type.

Comment conclure un entretien ?

En fin d’entretien, nous posons toujours la question : « Avez-vous compris ? Avez-vous des questions ? ». Parfois certains disent « oui » pour nous faire plaisir… Dans ce cas, nous leur proposons de leur réexpliquer si besoin.

Dans le cas d’une orientation vers une autre structure, nous donnons un flyer ou à défaut un post-it avec les infos ou une adresse, en fonction du degré de compréhension de la personne. Parfois nous lui remettons un courrier d’accompagnement à transmettre par exemple à la PASS ou à la CPAM, auquel on ajoute notre carte de visite ou le flyer de la permanence, pour faciliter l’accueil de la personne.
Nous la raccompagnons ensuite jusqu’à la porte du bureau et nous essayons de finir sur une petite touche d’humour, un mot d’au revoir, un sourire…


Propos recueillis par Madiana Barnoux, IREPS ARA.
Entretien réalisé pour la lettre Interactions Santé,  IREPS ARA, juin 2023.

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